Le droit d’auteur a-t-il bon goût ?
A chaque chargement d’une page Instagram ou Pinterest, l’internaute est bombardé de photographies de mets gastronomiques tous plus alléchants les uns que les autres. Le terme « food porn » ou « pornographie culinaire », un brin vulgaire mais particulièrement imagé, a même été inventé pour décrire une telle pratique.
Les réseaux sociaux ont complètement modifié la relation des restaurateurs avec leur clients et le domaine de la « food » a été submergé par la culture web.
Le client est désormais à un clic des recettes des plus grands chefs étoilés : il peut reproduire un plat qui figure à la carte de leurs restaurants chez lui, sous réserve de disposer du coup de main adéquat, ou à tout le moins saliver en admirant le dressage de maître.
La communauté foodie se partage ainsi les plus belles photos de nourriture, et entretient l’appétit des gourmands du monde entier.
Toutefois, une telle pratique pourrait porter atteinte au droit d’auteur des créateurs de ces œuvres culinaires.
Une jurisprudence de la Cour Fédérale allemande de 2013 a remis cette problématique sur le devant de la scène. Les juges allemands ont estimé qu’une assiette dressée par un chef dans un restaurant est protégée par le droit d’auteur et ne peut en conséquence pas être reproduite en photo sans accord du chef concerné.
La jurisprudence est-elle similaire en France ? Et que penser de la reproduction d’une recette de chef sur un site culinaire ?
Photographies – l’absence de protection des créations culinaires par le droit d’auteur
Le Code de la Propriété Intellectuelle et la jurisprudence indiquent que seules sont protégées les œuvres répondant au critère de l’originalité. Par originalité, il est entendu qu’elle porte l’empreinte de la personnalité de l’auteur.
L’article L112-2 du Code liste les œuvres de l’esprit de manière non-limitative, et n’inclut pas les créations culinaires ainsi que leur apparence.
L’article n’exclut donc pas le principe d’une telle protection. Toutefois, aucune décision n’a jusqu’à présent considéré qu’un plat disposait d’une originalité suffisante par lui même, pour justifier une protection par le droit d’auteur.
Bien que la gastronomie soit parfois considérée comme un art dans la culture française (le terme art culinaire est après tout fréquemment utilisé), il s’agit, au sens juridique plutôt de savoir-faire, qui n’est pas protégé par la propriété intellectuelle.
En conséquence, rien n’empêche le client de prendre une photographie de son plat et de l’exploiter ultérieurement.
Le seul argument contraire qui pourrait être avancé, notamment pour les chefs étoilés et dont les talents de dressage sont particulièrement importants, serait que le plat présenté dans le restaurant est composé d’une manière tellement originale qu’il ne peut qu’être empreint de la personnalité du chef. Cet argument n’a, jusqu’à présent, jamais été retenu par un tribunal, s’il a même été proposé par un avocat audacieux.
A l’inverse, la photographie du plat, si elle est suffisamment originale de part sa composition, pourra être protégée par le droit d’auteur… au bénéfice du photographe et non du restaurateur. Encore faudra t’il qu’elle fasse l’objet d’une présentation spécifique qui reflète la personnalité de l’auteur. Il est difficile d’envisager qu’une simple photographie d’une assiette sur la table d’un restaurant soit considérée comme originale.
La recette de cuisine, un savoir-faire au sens de la propriété intellectuelle
Quid de la recette ? Peut-on considérer que la liste des ingrédients et produits nécessaires ainsi que les instructions pour les préparer est protégée par le droit d’auteur ?
Par la recette, il est entendu uniquement la manière dont le plat peut être préparé. Il convient de la différencier de la présentation de la recette qui elle porte sur la manière dont celle-ci est fournie au public.
Il est difficile de prouver une originalité au sens du droit d’auteur pour la recette elle-même. En effet, bien que les chefs développent tous un style distinct, il n’est pas possible d’y percevoir le sceau de la personnalité du chef dès lors qu’il ne s’agit que d’une liste organisée dans l’ordre des différentes étapes nécessaires à la conception d’un plat.
En réalité, la recette relève du savoir-faire, qui n’est pas protégé par un titre de propriété intellectuelle. Il est également impossible de breveter une recette de cuisine.
Il sera toutefois possible de se défendre contre un usage non autorisé, si la recette était confidentielle et a été reproduite à l’identique sans autorisation, par exemple par un ancien commis soumis au secret ou à une clause de non-divulgation, mais pas au titre de la propriété intellectuelle.
L’originalité de la présentation de la recette
A l’inverse de la recette elle-même, la présentation de la recette peut être considérée comme originale, si elle est imprégnée du sceau de la personnalité de l’auteur.
Cela sera le cas, par exemple, si elle est présentée sous forme littéraire ou sous une présentation spécifique. Les livres de cuisine sont ainsi protégés au titre du droit d’auteur en tant qu’œuvre originale, dès lors que celui-ci a composé son livre pour présenter ses recettes de la manière la plus attrayante possible pour ses lecteurs. Il s’agit alors d’une œuvre littéraire.
Il en va de même pour les vidéos culinaires, qui sont une œuvre audiovisuelle susceptibles de bénéficier d’une protection du droit d’auteur.
Toute reproduction non autorisée de la présentation de ces recettes, par exemple sur des sites internet ou blogs, pourra donc être considérée comme une contrefaçon et sanctionnée.
En conséquence, il est possible voir même encouragé de se mettre l’eau à la bouche sur les réseaux sociaux, devant les créations culinaires des plus grands chefs. Quant à les reproduire, il sera certainement nécessaire de s’entraîner !